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Barkley Marathons: l’enfer des 40

Extrait de l’article paru dans le magazine Society #4


– « Comment te sens-tu ? » lui demande Laz, l’organisateur de la Barkley Marathons, une course à pied longue de 100 miles dans les forêts du Tennessee, inspirée de l’évasion en 1977 de James Earl Ray de la prison de Brushy Mountain.

– « Crevé, lui rétorque Matt Bixley, 42 ans, originaire de Dunedin en Nouvelle-Zélande. La course est si dure bordel ! »

– « Non, tu as l’air bien », lui répond-il.

Les rescapés du deuxième tour arrivent au compte-gouttes au campement. 40 coureurs au départ, puis 16… ils ne sont maintenant plus que 6 à s’élancer pour une troisième boucle, après 24 heures de course. Affalé sur une chaise, Matt, les jambes salement écorchées par les ronces et les pieds gonflés par des ampoules, s’accorde une heure de pause avant de repartir : café noir, soupe de nouilles chaude, oranges, bananes, barres de céréales. Lui et les cinq autres font résolument penser aux personnages de Marche ou crève, le roman de Stephen King. Obligés de marcher sans interruption jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un – les battus sont froidement exécutés, les survivants de la Barkley traversent eux-aussi des phases de doutes, de désespoir, de souffrance physique et mentale, de désir d’abandon, de solitude, de folie parfois. « C’est le prix à payer pour se prouver qu’ils sont capables d’aller au-delà des limites de leurs corps », estime Laz.

Si vous êtes donc si forts que ça Matt Bixley, Johan Steene, Jamil Coury, John Kelly, Toshi Hosaka et Dale Holdaway, ne vous arrêtez pas, marchez ou alors crevez ! Oubliez les crampes, les courbatures, les coups de barre, les coups de blues. Oubliez l’ennui de tourner en rond au milieu de ces collines. D’accord il pleut, il vente, il fait – 5°C la nuit et 20°C la journée, le parcours très vallonné est aussi long que quatre marathons. Et alors ? Voulez-vous être ce 15e (sur)homme à finir les 100 miles de la Barkley ?

En tête de la course, Jamil, 30 ans de Phoenix (Arizona), et John, 30 ans de Rockville (Maryland), rêvent de le devenir et montrent une détermination à toute épreuve. Dans les pas l’un de l’autre, ils s’attaquent à la montée infernale menant au sommet de la Fire Tower (1013 m). Le premier nous sourit ; l’autre pas. La pente de quatre kilomètres, brute, escarpée, glissante, ne pardonne aucun écart. Bâtons en main, ils grimpent d’une bonne foulée, régulière et symétrique, bustes en avant, évitant ronces et racines, enjambant branches et souches mortes tombées au sol depuis qu’une partie de la colline fut rasée pour y planter des poteaux électriques. Parfois, ils s’agrippent à la force des bras à des câbles métalliques laissés-là pour franchir les passages les plus difficiles. Jamais jusqu’au sommet, atteint en plus d’une heure, ils ne s’arrêteront. Arrivés en haut bien plus tard, nous attendîmes les quatre autres. On ne vit que Johan, le Suédois. Visage émacié, bouche sèche, gestes lents, jambes raides, son supplice dure depuis maintenant 75 km et 30 heures de course. Et dire qu’il n’en est qu’à la moitié de l’épreuve.


« A chaque fois qu’un coureur finit la Barkley, je suis comblé et honoré de serrer la main de quelqu’un capable de faire quelque chose d’aussi fou. » Laz, lundi 30 mars. Ce matin-là, tu avais encore l’espoir que la course se termine par le sacre d’un 15e vainqueur. Désolé de te décevoir Laz, mais aucun des six concurrents encore en lice en ce dernier jour de course ne te comblera cette année. Ni Johan arrivé hors délai, ni Matt victime d’un malaise, ni John, ni Toshi, ni Dale ne poursuivront l’aventure. Trop dure, trop longue, trop « vidés ». Seul Jamil, parti en pleine nuit pour une quatrième boucle, t’aura laissé imaginer une fin heureuse. Mais à 11h23 ce lundi, ne le voyant pas rentrer au campement dans les temps impartis pour effectuer le cinquième et dernier tour, tu as été obligé de reconnaître : « La Barkley a gagné ! » Tu as attendu Jamil. Il rentra finalement au coucher du soleil après 80 miles parcourus en 57 heures. Epuisé et éliminé. Au clairon, tu lui as joué la sonnerie aux morts et tu lui as dit : « Bravo. On est content de te revoir. »